Christophe Meslin (UVSQ, Université Paris-Saclay), La démocratisation des miroirs au XIXe siècle : un coup de fouet aux images

À la veille de la Révolution française, on peut estimer que les miroirs, dont la démocratisation est à peine amorcée, se trouvent dans moins d’un tiers des foyers français. La forte augmentation de la production et de la consommation des miroirs et des glaces (synonymes alors de « grands miroirs »), associée à une non moins forte baisse des prix, constantes depuis les années 1820, s’accélèrent durant les années 1850 : de 1851 à 1856, la manufacture de Saint-Gobain multiplie sa production annuelle de glaces par 3,25. Jamais, ni avant, ni jusqu’aux années 1940, le secteur miroitier ne connaîtra un tel accroissement. Les facteurs comme les conséquences de cette spécularisation tout azimut de la société française, tant des intérieurs privés que des espaces publics, sont multiples : apprentissage du regard sur soi et les autres par la comparaison, sens du cadrage et espace d’ouverture et de projection, développement de la mode et de ses revues illustrées, dialectique entre conformation et individualisation, etc. 

Mais ce sur quoi nous souhaiterions particulièrement insister, c’est le rapport étroit, et peu tranquille, entre la spécularisation d’une société et les évolutions, voire les révolutions picturales. Si dès le XVIIIesiècle, des analyses associent la multiplication des glaces avec les mutations de la peinture, le siècle suivant voit ces interactions s’intensifier, sinon exploser. Edmond Duranty (1833-1880), un des tous premiers observateurs à consacrer un ouvrage à La nouvelle Peinture(1876) qui n’a pas encore pris l’appellation générique d’impressionnisme, considère, sans nulle mention à la photographie : « la fréquence, la multiplicité et la disposition des glaces dont on orne nos appartements, le nombre des objets qu’on accroche aux murs, toutes ces choses ont amené dans nos demeures, soit un genre de mystère, soit une espèce de clarté qui ne peuvent plus se rendre par les moyens et les accords flamands ».

Edgar DegasAuguste Renoir et Stéphane Mallarmé, le 16 décembre 1895

Biographie :

Chercheur associé au Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines (Université de Versailles-Saint-Quentin, université Paris-Saclay), Christophe Meslin a soutenu en 2020 une thèse d’histoire sous la direction de Jean-Claude Yon, « Révolutions des miroirs / Miroirs des révolutions – Démocratisation, diffusion et projection du reflet de soi (XVIIIe-XIXesiècles) », ayant bénéficié d’un contrat doctoral du Labex Patrima – Fondation des sciences du patrimoine. Il travaille actuellement, d’une part sur la diffusion et réception des premières représentations préhistoriques par projections de lanternes magiques à partir des années 1850, et d’autre part sur le peintre Édouard Manet (1832-1883).

meslin-christophe@bbox.fr

Publications :

– Comment distinguer un chef-d’œuvre d’une croûte ?, Pauline Pons, Christophe Meslin, Palette, 2013, 69 p (ouvrage « grand public »)

– « Une sorte d’égalisation générale… », Le Magasin du XIXesiècle, n° 3, 2013, p. 212-219. (présentation d’une archive, l’article de Victor Fournel « Voyage à travers l’Exposition universelle – Note d’un touriste – III » publié en juin 1867 dans Le Correspondant)

– « André Le Glay (1785-1863), un docteur au chevet de la patrie-patrimoine », Faiseurs et passeurs de patrimoine, XIXe-XXIesiècles, actes de la journée d’études du 7 mai 2014, Culturhisto, p. 36-48 [https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01218197/document

– La Chair et le Verbe – Histoire culturelle du corps – Discours, représentations, et épistémologies, XIXe-XIXesiècles, actes de la journée d’études doctorales du CHCSC, Culturhisto, Tanguy Bérenger, Émilie Fromentèze, Vincent Gogibu, Christophe Meslin, Laura Muresan (dir.), éditions numériques du CHCSC, 2018 [https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01794385

– « Projections, éclairs et spectres : la salle Robin à Paris, un théâtre de physique amusante (1862-1867) », Itinéraires, « Le Merveilleux scientifique en spectacle (1850-1940) », coordonné par Claire Barel-Moisan et Laurent Bazin (à paraître).

– « Couleurs et luminosités des miroirs (XVIIIe– XIXesiècles) : Objets fantômes versusobjets conservés ? », Technèn° 50, 2020 (à paraître)