Quentin Bernet (Ecole du Louvre). Emulations et sérialités iconographiques dans l’Europe catholique, XIVe-XVe siècles.

L’Europe pré-renaissante est caractérisée par de nombreuses innovations picturales et artistiques, mais également par un grand renouveau spirituel, incarné par de nombreux penseurs et figures, qui, dans le sillage de François d’Assise, réinventent le rapport entre Dieu et les hommes. A la croisée de ces renouveaux spirituels et artistiques, on trouve un terreau sur lequel se développe une imagerie nouvelle, témoin d’une foi plus intime.

C’est d’abord le cas de la représentation des grands mystiques, exprimant un amour divin hors-normes, gravé dans leur chair. Si ces figures méritent d’être questionnées individuellement, une étude de la formation  plus globale de cette iconographie tend alors à montrer une forme de systématisation des symboles et des compositions. Considérant François d’Assise comme un point de départ, on pourra alors remarquer que les nombreux répertoires iconographiques des mystiques qui l’ont suivi ont donné lieu à une réitération des symboles, tels que la stigmatisation ou l’apparition d’autres plaies sur le corps. Il est en effet difficile de dénombrer précisément les mystiques (principalement des femmes), qu’on trouve aujourd’hui représentées en Italie centro-septentrionale et ailleurs, au cœur et aux mains percées, en extase devant la croix, ou dans d’autres situations extraordinaires. Le questionnement de cette iconographie, l’étude de leur apparition et des conditions de leur représentation nous montre alors comment s’est développée une relation de réciprocité entre les mystiques et les répertoires iconographiques de leurs pairs, une relation d’émulation et d’inspiration mutuelle, mais également comment ces répertoires ont été souvent consciemment élaborés pour faire de ces épouses du Christ de véritables vitrines des ordres spirituels auxquels elles appartenaient.

Andrea di Bartolo, Sainte Catherine de Sienne et quatre Bienheureuses tertiaires dominicaines, 1395-99, détrempe sur bois, 61 x 103 cm, Venise, Galleria dell’Accademia, dépôt de S. Gregorio.

Les peintres participent activement à cette quête de nouvelles formes, dans le but de donner corps à ce nouveau rapport plus étroit à la foi. Or c’est à la cour papale d’Avignon que Simone Martini peint la première occurrence connue d’un nouveau modèle iconographique, illustrant pleinement la quête de proximité et d’intimité des chrétiens de ce temps-là : la Vierge d’Humilité. Notamment mise en lumière par Millard Meiss, la Vierge d’humilité est un sujet singulier rompant avec la tradition de la Vierge en majesté qui montrait Marie assise sur un trône. Le peintre représente désormais Marie assise à même le sol, ou sur un simple coussin, portant ou allaitant le Christ sur ses genoux. L’ambition intime de cette nouvelle composition est frappante, mais tout aussi frappante est la viralité de ce nouveau type iconographique, qui en quelques années seulement s’étend aux confins de l’Europe. Que penser de la réitération de cet autre modèle ? De la même façon que pour l’iconographie mystique, nous voulons interroger les raisons de cette sérialité des modèles, cette fois-ci par l’étude cartographiée de la diffusion iconographique, qui permettra non seulement de visualiser cette diffusion, mais également d’en révéler à la fois les biais de transmission et les singularités.

Jacopo di Cione, Vierge d’humilité et anges musiciens, ca. 1370-1375, tempera sur bois, 139,8 × 67,5 cm, Washington, National Gallery
Source et visualisation : Quentin Bernet, 2022

Biographie :

Quentin Bernet est né à Narbonne. Issu d’une khâgne histoire de l’art et d’un double parcours à l’École du Louvre et à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, il y a notamment étudié les primitifs italiens ainsi que leur approche historiographique et épistémologique. Désormais titulaire d’un Master 2 d’histoire de l’art de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et étudiant en Master humanités numériques à l’École du Louvre, Quentin Bernet s’est spécialisé sur la circulation des modèles iconographiques dans l’Europe pré-renaissante. Il a particulièrement étudié la question de l’iconographie mystique catholique, sa formation et sa diffusion en Europe, au regard du contexte spirituel impulsé par les ordres mendiants. Ses travaux au centre Imago et à l’Observatoire des Humanités numériques de l’ENS-PSL portent désormais sur la diffusion de l’iconographie de la Vierge d’humilité en Europe, qu’il cherche à analyser grâce à différents outils numériques tels que la cartographie interactive.